02 mars 2017

Se jeter à l'eau avec Boutès


Une chambre même en sa grande-allée est bien restreinte pour faire écho d'un mot que je n'avais jamais vu avant de le lire sous la plume de Pascal Quignard en sa graphie allemande dans son Boutès et qui, si ma lecture de cet auteur n'est pas trop inadéquate, se révèle être un mot clé pour entendre son œuvre, son Dernier royaume en neuf volumes, son personnage d'Ann Hidden dans Villa Amalia..., comprendre mieux le déclenchement de la fuite viscérale par le chas de la pensée comme flair du corps, le recours profond à la philosophie pour mieux l'abandonner sur les routes de travers lorsque ses porte-flambeaux s'embrouillent dans la trahison du pouvoir, l'aimant fantasmé du pouvoir. (Il y en a eu quelques-uns, dont Heidegger!).
Ce mot, c'est la « Hilflosigkeit », l'état de détresse, ce sentiment de finitude et de solitude humaine, de totale dépendance éprouvée dès les premiers jours par le nouveau-né à la suite de son « amèrissage » dans l'atmosphère. Ce qui implique la radicalité du souffle en formation (psyché en grec, ψυχή, psukhè) pénétrant désormais l'incessant besoin d'amour. Jusqu'au dernier souffle.
Le terme servira à Freud dans son lexique pour définir sa première topique de l'inconscient (http://psycha.ru/…/diction…/laplanche_et_pontalis/voc86.html); puis Lacan pour dégager le terme idéal de l'analyse où le sujet est amené à ne plus se braquer et se mettre en garde contre le désir de l'Autre : « [...] de ce côté-là, note Pierre Ebtinger, l'angoisse peut s'évanouir, laissant à l'attente la possibilité d'une orientation inédite. » (cf. entrée Détresse et attente, http://wapol.org/ornicar/articles/177ebt.htm).
De proche en loin, en une attitude simple que je comprends en regard de la croissance personnelle et que j'emprunte à Denise Noel, c'est en quelque sorte l'accueil de la souffrance, puis surtout, malgré tout, à la suite, l'ajout de « Oui, et... »
Quignard de son côté, et c'est absolument magnifique, joue sur ce qui l'intéresse le plus au monde avec l'écriture : l'appel de la musique. L'appel des voix dans la batture du coeur.
L'attirance des eaux pour la noyade, vous connaissez? C'est effrayant! Mais pas garantie même pour les moroses, pour le dire comme Leclerc, « parce que l'eau réveille ».
Quignard : « Sans la musique certains d'entre nous mourraient. » (Boutès, coll. Lignes fictives, Galilée, 2008, p.25).

Mais juste avant, ce passage sur les braises de la création : « Qui a pensé la détresse originaire? Y a-t-il eu un penseur qui ait approfondi, étape par étape, cette impuissance panique à survivre seul, criant, naissant, soudain débarqué sur la première rive? Y a-t-il eu un penseur qui ait médité dans toute son amplitude, où plutôt à l'intérieur de son désert et de son aridité, la Hilflosigkeit? Oui. Il s'est trouvé un penseur pour penser de fond en comble cet état d'abandon, de solitude, de carence, de faim, de vide, d'extrême menace mortelle soudaine, de nudité, de froid, d'absence de tout secours, de nostalgie radicale, éprouvé par chacun lors de la naissance. Qui? Schubert. »
(Page 24).

Puis, juste après : « Qu'est-ce que la musique? La danse. Or, qu'est-ce que la danse? Le désir de se lever de façon irrépressible. J'approche du secret. Qu'est-ce que la musique originaire? Le désir de se jeter à l'eau. » (p. 25-26).


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