29 août 2016

Tranche de vie sur le vif

Je me permets de reprendre ici afin d'en suggérer la lecture le beau texte plein d'humanité d'Annette Merle-Borgniet publié récemment sur son blogue à la suite d'échanges spontanés au cours d'un bref trajet en autobus à Toulon.

Aujourd'hui, dans le bus.

26 août 2016 ligne 15
11 heures, à l’arrêt du bus qui jouxte l’église intégriste de Toulon. Celle d’où sortent, le dimanche des familles nombreuses attendrissantes, shorts longs, jupes plissées, polos clairs et souliers plats. Mais ce n’est pas le sujet.
Montent, dans l’ordre, une fluette septuagénaire, un peu fatiguée, une maghrébine, le foulard sur la tête, qui discutait avec elle sur le banc, une sympathique retraitée bien coiffée, et moi.
Les deux continuent leur conversation : « Partout il y a des dangers, des fous ; moi, je vais quand même à Carrefour, si je dois mourir, Inch Allah «. On a reconnu la musulmane. On va connaître son prénom : Aïcha.
Sa voisine : « Oui, les religions… »
La dame bien coiffée : « A Nice, trente musulmans parmi les victimes »
Aïcha : « Moi, ma religion, elle dit qu’on doit aimer les autres «
La dame bien coiffée : » Les religions, se méfier ; la religion catholique, ça a été aussi la guerre et la violence «
Aïcha se décide : « Moi, dans le bus un homme m’a dit de retourner chez moi. »
Moi : « Madame, vous avez le droit de porter plainte »
Aïcha : « Je ne veux pas d’histoires, et puis le chauffeur l’a fait descendre ».
A ce moment le conducteur se retourne et lui dit : » Il a bien fait ; moi, j’aurais fait pareil. On ne doit pas supporter ça »
La dame bien coiffée : « Nous, en 68, on était pour la liberté de porter ce que l’on voulait, et de se débarrasser des soutifs… »
Elle ajoute : « On était politisé. Maintenant, les jeunes, à commencer par ma fille chérie… »
Aïcha : « Ah, les jeunes, ils ne veulent pas travailler ; mais ils prennent les sous. On devrait les faire travailler pour ce qu’on leur donne. «
Comme quoi, Aïcha est vraiment intégrée.
Commentaire de sa voisine, à la descente du bus : » Je la connais bien, Aïcha, elle travaillait à l’hôpital. Avec elle on ne s’ennuie jamais. »
La dame bien coiffée, s’adressant à moi : « Vraiment, ça fait du bien de parler. Parler, c’est vivre. »
Moi : « Comme dit Claude Halmos »
Elle : « J’aime beaucoup Claude Halmos. Et puis, elle met en garde contre l’enfant-roi. » (Message pour la fille chérie et ses rejetons.)
J’avais bien fait de prendre le bus 15. »

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