15 juillet 2013

ti-lût,ti-lulût!

Photo Jacques Desmarais

À l'affût de l'ombre d'une menace 
de la rapace, de l'écureuil, du serpent
pas de sonnettes
ti-lût,ti-lulût 

TI-LÛT,TI LULÛT!                                               En mode alerte!

En fait, c'est plutôt
tchip ou tukuk!
et pas du tout
cheerily-cheer-up-cheerio
tut,tut,tut...


alerte alerle
criaille, répète 
la maman merlette 
perchée sur une branche 
de l'arbre mort de la ruelle 
donnant sur la rue Saint-Laurent 
pour que ses innocents d’oisillons nouveaux-nés sortis depuis dix jours 
de leur bleu de merle 
soient saisis d'un réflexe de la poitrine et faire se recroqueviller 

tout au fond du nid posé juste drette icitte 
dans le trou  O  d'une ancienne cheminée     de la vieille véranda masacrée...

C'est ô que oui beaucoup de vie,

de va-et-vient autour 

qui n'abandonne pas!
                                 Eil! Eil! Eil!  tchip tukuk

criaille la maman merle 

Mais comment veux-tu
mon merle mon merle
Comment veux-tu
mon merle chanter?

« Mais crier au meurtre,
c'est pas pour rien! 
Car l'Amérique marlo!

Ben oui, l'Amérique!
Mais laquelle, barjo
d'agaguk! »








13 juillet 2013

« Le temps est venu d'allumer le huitième Feu » - William Commanda


La mort a tant de synonymes a dit un jour Gilles Vigneault.


La saleté est synonyme de la mort a dit un jour à la télévision mon cousin de médecin Paul-André Desmarais. 

Ils avaient perdu leur volonté de vivre et leur but dans la vie, a dit le Grand-Père William Commanda. Dans La prophétie des Sept feux  on peut lire : 

« Prenez garde si la race des Lumières Pelées vient avec le visage de mort. Vous devez être prudents, car le visage de fraternité et le visage de la mort se ressemblent beaucoup. S'ils viennent avec une arme..., prenez garde. S'ils viennent avec de la souffrance... Ils pourraient vous tromper. Leurs coeurs peuvent être remplis de l'avidité pour la richesse de cette terre. S'ils sont en effet vos frères, faites-le leur prouver. Ne les acceptez pas avec une confiance totale. Vous saurez qu'ils portent le visage de la mort si les rivières coulent avec du poison et si le poisson ne peut plus se nourrir. Vous les reconnaîtrez par cela. »

Avec une pensée pour mon père décédé le 13 juillet 1965.


12 juillet 2013

Tisserande de la Grande-Allée

Photo Jacques Desmarais.  Quelque chose qui tient du miracle.

L'actrice québécoise Françoise Berd (1923-2001) qui croisa un jour Antonin Artaud, peut-être plus,  sous le ciel excessif du Mexique, se fit quelque temps speakrine les vendredis soir à l'antenne de l'ancienne Radio-Québec dans le cadre d'une série sur l'art intitulée, si ma vieille mémoire est bonne, La toile d'araignée.

Je pensais tout à l'heure à elle sur ma galerie, elle Françoise Berd rencontrée à L'UQAM à l'automne de 1980 ou 1981. Je lui avais parlé d'Artaud, justement. Auparavant, je l'avais vue jouer sur les planches à Sherbrooke dans La nerf des sorcières.

Je repensais à sa voix, à l'insistance avec laquelle semaine après semaine elle tissait cette idée toute simple, mais combien riche : tous les arts se rejoignent et forment une grande toile.

Mais cela m'est venu après coup. Seul pour souper en cette belle fin de journée délicieuse, je me suis installé pour la première fois de l'été qui a tant tardé avec vin et spaghetti sur la table du balcon. Puis, voilà, gratos, vrai spectacle digne du Montréal complètement cirque : une minuscule araignée couleur or s'est exécutée en silence devant moi avec la foi du charbonnier. Traverse le fil du fer forgé jusqu'à la trompette de la mort, monte, descend, repasse sur le ventre, sur le dos... Magnifique spectacle du moment! Il fallait être là disponible, en pleine lumière, sinon ON NE VOIT RIEN!

Tous les arts se rejoignent, non parce que c'est de l'art, mais parce que c'est de la vie dans sa surabondance et sa survie comme dirait Nietzsche, et aussi, plus près de nous, le très fin Pierre Audi dans Créer (Verdier 2011).

Gaétan Soucy, le philosophe-écrivain qui ramentevait


Cette année-là, en 2004, à La bataille des livres à la radio de Radio-Canada , La petite fille qui aimait trop les allumettes de Gaétan Soucy était défendu par la cinéaste et comédienne Micheline Lanctôt. Ce fort récit sauvage et touffu passant par la bouche d'un enfant fut éliminé et c'est Un dimanche à la piscine à Kigali de feu Gilles Courtemanche qui l'emporta.  

J'aimais les deux livres comme en témoigne le commentaire cité plus loin, à peine remanié, que j'avais laissé sur le site de l'émission Indicatif présent animée par Marie-France Bazzo. Mais mon vote, je le donnais à deux mains et tout coeur à La petite fille... qui reste encore à mes yeux l'un des romans les plus réjouissants de toute ma carrière d'humble lecteur.

Gaétan Soucy est parti bien de trop bonne heure!  


Mes condoléances à ses proches, dont mon collègue Audrey qui est son neveu.   

« C'est un joli mot, ramentevoir, je ne sais pas si ça existe, ça veut dire avoir des souvenirs. »
La petite fille qui aimait trop les allumettes, Boréal, 2000, page 67. 

***

Je suis en train de lire Un dimanche à la piscine à Kigali, et j'éprouve à chaque page la portée de ce livre courageux et lucide, franc, qu'on portera à l'écran, je l'espère. Mais puisque qu'il faut en choisir un seul, La petite fille... est notre premier choix, car il s'agit ici avant tout d'un immense et lumineux coup littéraire, un tour de philosophe malin, une poésie dramatique, j'oserais dire, qui reste là longtemps suspendue à fouiller du regard les décombres de l'enfance, peut-être le seul pays vif de la littérature. Ce livre de Soucy avec ces agrès de grimoire et de grimaces rejoint, selon moi, La vie devant soi d'Émile Ajar et Bruit et Fureur de Faulkner.

Courtemanche est un frère, comment le remercier?

Gaétan Soucy est un sourcier délirant qui déparle, un écrivain majeur. 

Jacques Desmarais
Montréal, 
1 avril 2004  

10 juillet 2013

Courage Lac-Mégantic!

Touchante photographie de Jacques Nadeau à la une du Devoir en ce mercredi 10 juillet 2013.

Courage Lac-Mégantic.

Photo Jacques Nadeau, Le Devoir,  10 juillet 2013.


Soutien Lac-Mégantic - dons à la Croix-Rouge

Une catastophe évitable (blogue Studio-Peluche, 9 juillet 2013)

09 juillet 2013

Quatorze ans après L'Erreur boréale : un grand coup de godend'art!

Amenez-en de la pitoune de sapins puis d’épinettes
Amenez-en de la pitoune de quatre pieds
Puis des billots de douze pieds
C’est Tit-Paul qui est arrivé
On n’a pas fini de draver
 — Gilles Vigneault, Tit-Paul la pitoune


L'ami Jean-Paul me donne des nouvelles du sympathique Festival Résistances de Foix dont le cinéma en est le principal volet.  Avec Jean-Paul comme éditeur, j'ai eu le grand plaisir d'y participer, Poèmes cannibales sous le bras, en 2009.

J.P. m'informe qu'on y a présenté hier, le 8 juillet, L'Erreur boréale (1999), documentaire percutant réalisé par les complices de longue date Desjardins-Monderie. Mais personne sur place, note-t-il, pour faire le point sur la situation d'aujourd'hui!

Alors, je tenterai ici de donner quelques éléments de réponse à la question de Jean-Paul que je reformulerais ainsi : qu'en est-il de la forêt québécoise quatorze ans  après la sortie du brûlot que fut l'Erreur boréale? 

Ayant assisté l'an dernier au spectacle de l'Existoire, je peux témoigner du fait que le grand Desjardins continue à promouvoir auprès du public l'Action Boréale en Abitibi-Témiscamingue (L'ABAT) qui a pour objectif de promouvoir la sauvegarde de la forêt boréale pour les générations futures.  Fondé en 2000, cet organisme a joué un rôle déterminant au regard de la Commisson Coulombe qui a déposé son rapport en 2004.  

La frénésie du prix de l'or à partir de 2007 a mobilisé l'ABAT autour de l'exploitation des mines. L'actuel gouvernement Marois a déposé fin mai 2013 le tant attendu projet de loi 43 visant la modernisation de l'archaïque loi des mines, projet jugé décevant par les groupes écologiques, les municipalités et Québec solidaire.

Tout cela pour dire que l'enjeu actuel des ressources naturelles au Québec est loin d'être une valse tranquille au bois du rossignolet, et le drame sans nom qui vient d'éclater à Lac-Mégantic pose crûment la nécessité urgente de se sortir du pétrole et de forger un contrôle collectif d'un développement écosystémique et durable.

Mais revenons à l'Erreur boréale qui lors de sa sortie en 1999 fut qualifié par certains « spécialistes » de pamphlet inacceptable qui a terni l'image de l'industrie forestière.  Avec le recul, en terme d'aujourd'hui et au regard de l'état actuel de la grande et exceptionnelle forêt québécoise,  c'est tout le contraire qui se dégage de l'analyse de Luc Bouthillier, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt à l'Université Laval.

Interrogé en 2011 pour Le Devoir* par Réginald Harvey, le professeur de Laval soutient en effet que le documentaire a frappé juste là où ça compte. Résultat : ce film a provoqué une prise de conscience majeure de tous les intervenants et a littéralement catalysé la responsabilité partagée au regard de la forêt, majoritairement, faut-il le rappeler, propriété collective.

C'est tout le régime forestier qui s'en trouve transformé au moment même où la reprise des mises en chantier aux États-Unis et la forte demande de bois en Chine donnent de l'oxygène à l'industrie en crise entre 2000 et 2012.  Au cours de cette période, il y a eu 35 000 emplois perdus selon Jean-Marie Décarrie (La verte relance de l'industrie forestière, La Presse, 26 avril 2013).

* Je reproduis au complet l'excellent article du Devoir en date du 16 avril 2011.
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Grâce à L'Erreur boréale - La forêt a encore un avenir







Les Québécois sont en phase de réappropriation de leurs forêts











Image tirée du film L’Erreur boréale, de Richard Desjardins et Robert Monderie<br />
Photo : Robert MonderieImage tirée du film L’Erreur boréale, de Richard Desjardins et Robert Monderie

Richard Desjardins et Robert Monderie ont suscité une prise de conscience avec la réalisation du documentaire L'Erreur boréale. Ils ont été des allumeurs de réverbères qui, dix ans plus tard, ont redonné à la forêt québécoise, à tout le moins en partie, son statut de territoire national. Que deviennent ces vastes espaces depuis ce temps?

Les forêts québécoises couvrent 761 100 km2 du territoire de la province, soit presque la moitié d'une superficie totale oscillant autour de 1 700 000 km2. Dans l'ensemble du monde, la superficie totale des forêts s'élève à 40 000 000 km2, au Canada, elle est de 4 021 000 km2, au Brésil, de 5 000 000 km2, en Europe, de 1 500 000 km2. À lui seul, le Québec possède 2 % des forêts mondiales. Il y a évidemment de quoi leur accorder de l'importance en raison de leur impact tant économique et social qu'écologique sur la population.

Luc Bouthillier, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt à l'Université Laval, a pour champ de spécialisation la politique forestière et l'évaluation écologique. Peu importe le nombre de détails techniques contestables que certains ont pu relever dans le brûlot cinématographique du poète chansonnier et de son complice, il estime aujourd'hui que le film a frappé fort et qu'il a marqué un tournant dans l'exploitation de cette ressource. Il situe le débat: «On parle d'immensité, de nordicité et de citoyenneté parce que 85 % de celle-ci est de tenure publique; inévitablement, elle représente un gros enjeu public à caractère politique parce que l'État en est fiduciaire, et non propriétaire, au nom de chaque citoyen.»

Cette forêt a été considérée, examinée et, jusqu'à un certain point, traitée comme un grand malade victime d'une pathologie chronique, au cours des dernières années. Il dresse son bilan de santé: «Je pense qu'elle se porte relativement bien, pour deux raisons. On a commencé les activités forestières autour de 1830; on compte presque deux siècles marqués par de telles activités pendant lesquelles la forêt n'a pas reculé. C'est une ressource résiliente et, même si les outils technologiques sont très puissants depuis les 50 dernières années, on n'a pas créé de désert. C'est la première raison qui m'amène à dire qu'elle se porte plutôt bien.»

La forêt est d'abord territoriale

Si cette forêt est en aussi bonne forme, pourquoi le secteur vit-il une crise majeure? Est-elle d'ordre strictement économique? «Actuellement, on parle d'une crise économique, mais ce que L'Erreur boréale a mis en lumière, c'est que celle-ci s'est profondément modifiée. Le film livre trois messages: on coupe trop, on coupe mal et il n'y a personne qui soit responsable. Sur le premier point, la commission Coulombe et le forestier en chef en sont arrivés à la conclusion que, oui, on coupe trop.»

Au-delà de ce constat, il est apparu, à la suite d'un examen plus poussé, que le véritable problème se situait ailleurs, comme le démontre le professeur: «L'industrie s'est toujours défendue d'avoir utilisé seulement la corde que le gouvernement lui avait donnée et celui-ci répondait qu'il avait mesuré la longueur de celle-ci le plus scientifiquement possible. Il faut donc fouiller comme il faut dans le rapport du forestier en chef pour comprendre que la grosse affaire qui a changé dans les 40 dernières années, ce sont les attentes envers la forêt.»

En fait, la forêt ne renferme pas que de la «pitoune» et de la planche. Il s'explique: «En fait, on voyait auparavant celle-ci comme un gros tas de bois et L'Erreur boréale a été un véritable révélateur sur ce plan et a mis le doigt là-dessus. Non, la forêt, ce n'est pas un tas de bois: toutes les autres ressources, tous les autres services ou tout ce qu'on pouvait attendre d'elle en plus du bois étaient considérés comme des contraintes; on essayait d'accommoder les milieux, mais la priorité demeurait toujours le bois, alors que la forêt, c'est d'abord un territoire avant d'être une source de matières premières.» Quant à dire si «on coupe trop», des mesures ont été prises sans répondre totalement aux attentes, selon les parties en présence qui s'expriment dans le débat.

Quant à savoir si «on coupe mal», là encore L'Erreur boréale contenait un gros fond de vérité, comme le signale M. Bouthillier: «Quand 95 % des pratiques forestières relèvent de la coupe à blanc, on constate qu'il est pratiquement impensable que cette seule façon de faire existe pour obtenir du bois dans la forêt québécoise.» En ce qui a trait à cet aspect de la question, des correctifs ont aussi été apportés: «On est loin d'avoir atteint le but, mais on se rend compte aujourd'hui que le coffre d'outils a été garni. Les façons de couper sont devenues différentes et démontrent un certain respect pour ce qu'on laisse sur le territoire et pour ce qu'on récolte. Il y a une amélioration.» Est-ce suffisant? «La réponse est non parce que, au fur et à mesure, la demande sociale à l'égard du territoire continue d'évoluer; on parle maintenant de la beauté des paysages et il est alors question d'esthétique. Mais, même si c'est difficile de couper mieux, ce n'est pas une raison pour ne pas essayer de le faire.»

Un nouveau régime se met en place

Finalement, un mouvement de réappropriation du territoire par les citoyens est apparu: «Celui-ci est survenu à la suite d'un cri du coeur, celui de L'Erreur boréale, dans le sillage duquel un nouveau régime forestier a vu le jour en mars 2010; il comprend deux grandes lignes de force et se penche sur d'autres points.» Il identifie la première: «Il y a la réappropriation du processus décisionnel par les régions qui ne se situe évidemment pas à 100 %, parce qu'il doit y avoir une reddition de comptes nationale. Dans chacune des 74 unités d'aménagement forestier des forêts publiques, il y a des tables locales de gestion intégrée où, de façon très régionale, on va définir ce qu'est la fameuse demande sociale.» Les forestiers donneront suite aux revendications dans la mesure du possible: «Il va y avoir un dialogue qui va s'établir au niveau d'une unité d'aménagement, ce qui n'existait pas du tout auparavant.»

Une autre étape est franchie et, encore une fois, L'Erreur boréale avait mis le doigt sur le bobo dans le cas de l'absence d'un interlocuteur valable, comme le laisse savoir Luc Bouthillier: «Desjardins dit dans l'avion qu'il n'était pas content de ce qui se passait derrière le chalet familial; il a alors appelé au ministère, qui l'a renvoyé à l'industriel, puis là c'était comme si j'appelais le bon Dieu et que c'était le diable qui me répondait.» Il traduit de tels propos: «Il voulait dire que le gouvernement a renoncé à ses responsabilités. Le but de ce film-là, c'était de montrer que la forêt relève du bien public mais que, finalement, la gestion en a été déléguée à un acteur bien particulier qui est l'industriel, dont la raison d'être est de transformer la matière ligneuse et non pas de la cultiver.»

Le professeur dégage l'autre trait majeur du nouveau régime: «C'est l'engagement à faire de l'aménagement écosystémique. Il existe par conséquent une dimension très sociopolitique dans le plan et une autre qui est davantage d'ordre technique, quoique les deux se rejoignent finalement. Sur le plan technique, on doit reconnaître que c'est une méchante commande: un tel aménagement, cela veut dire planifier les interventions en forêt de manière à s'inscrire dans une dynamique naturelle, qu'on connaît seulement de façon partielle. On assiste à un bouleversement de la culture du forestier qui est sans précédent.»

08 juillet 2013

L'indépendance populaire du Québec - 2


« [...] Mais n'oublions pas que l'indépendance se fera par et pour les travailleuses, chômeurs, sans-emplois et étudiantes qui composent ce pays. »

La radio de Radio-Canada vient de consacrer une superbe série de cinq émissions à Pierre Bourgault décédé il y a dix ans : C'était Bourgault. Bien que la radio ne nous rende pas captif, il m'était difficile d'y porter attention dans mon cabicule ouvert au bureau, de seulement penser à allumer mon poste  entre 11 heures et midi alors que je suis totalement et sincèrement mobilisé pour Sa Majesté, tout un chacun sachant bien que dans une monarchie constitutionnelle, Sa Majesté est la substantifique moelle représentant le peuple!

Heureusement, on peut rependre le tout sur le site de Radio-Can à l'adresse indiquée plus haut.

J'ai souvent dit combien j'estime Bourgault. Si l'on décape quelque peu son style oratoire saisissant, mais ampoulé et théâtralisé à la planche, en caractères gras et grasseyant, et malgré qu'il ne fut jamais élu à l'Assemblée nationale, il reste un astre essentiel parmi les acteurs politiques québécois. Il est parmi ceux et celles qui répondent le mieux, et ce, à la fois sur le plan éthique (ce que l'on veut faire) et sur le plan moral (ce que l'on doit faire), à la question : pourquoi faire l'indépendance du Québec?

À la fin de sa vie, tout simplement, oiseau blessé, mais dégagé de toute volonté de puissance, Bourgault disait : il faut être indépendant le plaisir de voler de ses propres ailes. Voici les mots exacts :

« L’indépendance, c’est tout simplement
la capacité du Québec
de voler de ses propres ailes. »
(Chuchotement de Bourgault à Bernard Landry
sur son lit d’hôpital, 16 juin 2003)


J'ai suivi assidûment l'homme de radio jusqu'à la toute fin de sa vie, notamment à l'émission Indicatif présent de Radio-Canada. Ses billets légers sur les fleurs de son balcon avaient l'intensité de l'homme sachant sa fin imminente, trouvant belle la vie malgré tout. Reste que ses positions pacifistes contre la guerre en Irak étaient mordantes et exemplaires.

J'ai suivi avec passion une série de conférences en 1983 intitulées Entre l'ivresse et l'espoir.

J'étais également présent à titre de délégué de l'ex-comté de Shefford et j'ai entendu l'un des plus célèbres discours de Bourgault qui se présentait à l'exécutif du PQ lors d'un congrès au Patro roc amadour de Québec en 1971. En voici un extrait dont les maîtres mots respectabilité, solidarité.





Mais de quel bois se chauffent les jeunes indépendantistes d'aujourd'hui qui n'en sont plus seulement au pourquoi, mais aussi au comment faire l'indépendance ?

J'aime bien pour ma part suivre les analyses-fleuves de Jonathan Durand Folco qui écrivait ceci en juin dernier sur son blogue (cf. la recension dans la collonne de droite de Train de nuit), dans le même ordre d'idée que Gabriel-Nadeau Dubois cité plus haut  :  

Lettre à l’indépendantiste

« [...] L’indépendance populaire ne sera pas d’abord le fruit des urnes, d’une élite technocratique semblable à la Révolution tranquille, mais le produit d’une convergence des mouvements sociaux, des mobilisations citoyennes de toutes sortes, groupes écologistes, étudiants, autochtones, féministes, anti-impérialistes, etc. Ce sont les acteurs du changement social qui pourront « driver » le projet d’émancipation nationale, au sens de dynamiser, piloter, mouvoir, conduire. Ce n’est pas une organisation de la société civile comme le Conseil de la souveraineté du Québec, ni des groupuscules indépendantistes, ni un grand parti vendu au nationalisme pétrolier et l’impérialisme canadien, qui pourront assurer la libération du peuple québécois. [...] Prenons acte de l’histoire sociale, culturelle, économique, politique du Québec contemporain, et reposons le projet d’indépendance sur une nouvelle base. Il n’est plus possible de mettre un seul enjeu au-dessus des autres, que ce soit la lutte contre la pauvreté, la souveraineté, la défense des espèces menacées ou la paix dans le monde. La crise systémique du capitalisme, de l’environnement et de la démocratie nous oblige à proposer une alternative désirable, viable et atteignable, liée à une théorie de l’émancipation basée sur l’idée de la justice sociale et politique, une critique de la reproduction des schèmes de domination, l’analyse des contradictions qui ouvrent des possibilités d’expérimentation, et une perspective stratégique de la transformation des institutions. L’indépendance n’est pas autre chose qu’une pratique collective visant à libérer l’avenir du Québec, dans tous les sens tu terme. »


07 juillet 2013

Lac-Mégantic : l'effroi absolu!


Témoignage absolument bouleversant de M. Lafontaine, un résident et entrepreneur de la ville de Lac-Mégantic sur RDI qui a perdu un garçon, une belle-fille et une employée. Quel courage et quelle clarté d'esprit malgré l'effroi d'un deuil qu'on n'ose pas imaginer pour soi-même tellement c'est cruel. Ce monsieur ne manque pas la cible politique et économique autour de laquelle grouillent tous ces faiseux qui prennent les gens pour des objets, d'abord que l'économie roule! À voir, à méditer, à partager et à répercuter.

Pierre Foglia - Dimanche à Lac-Mégantic

06 juillet 2013

Carnets pelés 38 - Mémoire de pierre


Neuf cent millions de crève-la-faim
Et moi, et moi, et moi
Avec mon régime végétarien
Et tout le whisky que je m´envoie
J´y pense et puis j´oublie
C´est la vie, c´est la vie
- Jacques Dutronc, Et moi, et moi, et moi 

13 août 2001, Honoré-Beaugrand

Un ange m’a prévenu ce matin en montant dans le métro, oui ce matin même : « Change de capuche! m’a-t-il dit.  Il y a des gens à profusion! Ne le vois-tu pas? Ne vois-tu pas le monde courir et se rasseoir, le monde tel qu’il est avec des cailloux dans le fond des souliers et le teint pâle des lundis empesés? Le monde avec les miettes sacrées de ses vedettes et ses tourments?  Le monde immonde et ses nouveaux meurtres sordides illustrés à la une des journaux aseptisés? Et l’espoir? Les verbes rares dans le cachot des gorges obturées par les débris? »

Hier encore, cher ange, je filais foins fous insoupçonnés ondulant vers les rivages de la mer. Oui, insoupçonnés. Oui, fou! J’étais allongé sur le sable en guise, en guise-en guise-en guiiii-se…

Rivage de mer. C’est aussi cet espace de temps ordonné qu’on n’a pas vécu. Ou plutôt, qu’on n’a pas touché de l’œil. S’il fallait tout restreindre à sa propre vue! Imaginez un ancien 13 août 1681 dans la Vieille-France de pierres vermoulues. Colbert édicte : sera réputé bord et rivage de mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves.


27 octobre 2010 

 Prise fantôme des deux mains derrière le dos. Il ne vole pas le temps, il nous stripouille et nous tripatouille, il nous vidange et nous retranche dans l’enchevêtrement des strates de sa langue bleue. Je vais lui donner une de ces claques! Je étant un bien grand mot!


8 février 2010

Je vais cesser de travailler, Maître. Je n’attendrai pas que le manche me reste entre les mains! En tout cas, je ne haverai pas trop ce soir. Il est pourtant 19 heures déjà! Et mes trente-deux bouches à nourrir!



20 janvier 2012

Autour du museau. Gloup! Gloup! Les véritables proies sont celles qui se déploient et se déplient encore en creux avec une réserve d’indomptables rêveries sur la planche à découvertes de la forêt de nos pensées.



2 juillet 2013


Au hasard dans la balançoire, René Char, Chants de la Balandrane, Cruels assortiments. Pages 539 et 540 : « Vivant là où son livre raidi se trouve. Et doublement vivant si une main ardente ouvre le livre à une page qui sommeillait. »



29 juin 1988

Dimanche dernier, j’ai visité ma mère avec les enfants. Bébé s’est endormi dès après les dernières bouchées du traditionnel et si bon pâté au poulet. J’ai sauté la tarte à la rhubarbe et suis sorti sous les nuages. Incapable de me poser. Comme un vif désir de repartir. Métaphore de ma jeunesse de sombre chevreuil entre deux chaises. Fuir avec le silence derrière les murs de pierres, les walls de roches. J’ai trouvé dans la remise un fond d’essence. Cela m’a retenu et donné contenance. J’ai rempli le réservoir du rotoculteur et j’ai travaillé un morceau du jardin. Un minuscule carré de terre brune bouleversée.  Du bruit en masse pour me geler les oreilles. Métaphore du sillon. Filiation. Et encore des roches qui jaillissent du sol!  Bébé s’est réveillé.  Une heure s’était écoulée. La pluie est venue sceller mon œuvre. Pour calfeutrer les blessures, j’ai regardé par la fenêtre de la cuisine qui donne sous le gros érable centenaire.
    

24 février 2003

Dans le corridor de la Place des Arts que j'emprunte tous les matins, j’ai revu le joueur de guitare au style, je dirais flamenco, faute de mieux préciser son agilité. Son jeu m’épate en effet, et je me suis arrêté plus loin pour gribouiller n’importe quoi qui pourrait sortir par le trou de la guitare. Quelque chose de dru, de virulent avec une tête de taureau et du torrent entre les gencives… Mais non! J’ai tant de verdure et de douceur dans le verdict du spontané…  

ils pacagent
de tous bords 
tous côtés
plac bloc plac plac bloc;
et ils disparaissent un à un
comme des gipsies de cuir 
au coeur brûlé
qui se remplissent la foi
de lunes bien fraîches


Ça fait peur au destin. 


9 janvier 2008

Ne pas craindre les fragments, les poussières d’or, les petits bouts de hasard, les morceaux de papier.

Les frogments.

Quel est donc cet auteur Russe qui, justement, par pur hasard, à moins que ce ne soit encore la faute à l’ange des livres, me tomba entre les mains un soir des années 80, avec un petit spot dans mon front, alors que je n’avais aucune boussole entre les rayons des Arts et des Lettres de la bibliothèque centrale de l’UQAM?

Afin d’illustrer l’art d’écrire et la vertu de la patience que cette activité exige certainement, celui-là racontait une histoire à l’eau de rose d’une espèce de chevalier têtu, aiguillonné, déterminé, ne gaspillant aucune occasion du jour et de la nuit, glanant ici et là sur le fil ténu du temps et dans les recoins les plus nuls, les plus obscurs, quoi donc, comme dirait Truffaut dans ses éditoriaux? Il rapaillait des poussières d’or… Je répète : des poussières d’or. Même les petits pucerons de pépites, même les invisibles puceaux ne s’étant jamais aventurés à l’air libre,  il les récupérait tous avec grand soin, grattant avec ses ongles, son sixième sens, parfois juste avec l’électricité dans ses cheveux… Il était parti là-dessus, un vrai maniaque avec toujours dans ses poches, au cas où, un petit casseau en fer blanc, une ancienne boîte à tabac vide en forme de mini baril pour accumuler des poussières d’or!

Si bien qu’arrivât un bon jour où ce persistant amoureux, car oui, cela est clair, il s’était amouraché, il avait un but, un motif ou un mobile, quelque chose de plus fort que lui le dépassait… Bien arriva donc un bon jour où le pollen glané ici et là avait son pesant d’or. L’homme jugea que l’heure était venue.  Peut-être y avait-il une promesse en jeu?  Il put amalgamer, chauffer, aplanir, taper, gosser, forger, sculpter, patenter…  Imaginez : une vraie belle grande Rose d’or !  C’est ce que disait l’auteur.

Pour quoi faire, pensez-vous? Toujours bien pas pour la déposer sur une tablette vaniteuse ou une petite table à café! Non! Non!  C’était pour l’offrir à la reine de son cœur, sa dulcinée qui avait sans doute de beaux yeux, de beaux cheveux, de beaux seins, des lèvres roses, une pensée délicate comme la brise et le cœur vif comme un lièvre…

Je crois qu’il s’agissait de Paustovsky pour qui la littérature était essentiellement imagination et réminiscences. Ne suis jamais retombé sur lui. Reste que son Sisyphe romantique est inoubliable.


3 mars 2011

Le regard amoureux traverse les jours, les sombres, les ensoleillés, surplombe le temps de chien, le bruit de fond à la fenêtre du matin, le froid, la misère à rester soi, surtout à devenir soi. Le regard amoureux (je parle en général, je suis si aveugle, mais j’ai la foi du charbonnier…) jette de loin sa lumière sur les traces d'oubli et de suie laissées derrière nos pas.



13 août 2005, lac Peasley

Le soir, au son des grenouilles et dans le va-et-vient des papillons de nuit sur la galerie, ça griche un peu sur la page du cahier avec la pointe de la plume. J’aime y faire de la réécriture, comme ça, tranquille. Petits labours miniatures, mots à découvert, tout ronds, tout cuits, déloussés avec une plume et ses cartouches.

C’est devenu une seconde nature depuis cet atelier d’écriture et de méthode en philosophie dirigé par Georges Leroux à l’automne de 1975 dans le vieux pavillon de la Gauchetière. Il y avait entre autres au programme un extrait de texte de Paul Ricœur, Quand le symbole donne à penser. Suivant le conseil de Georges (il faut faire comme les peintres, disait-il, et copier les maîtres pour que les mots vous rentrent dans la main), cette phrase, cette amorce en particulier, je l’ai utilisée des dizaines de fois en guise, en guise, en guise d’introduction et de parasol ou de paratonnerre, en particulier lorsque j’étais un peu perdu dans la direction de mes travaux d’étudiant… Je ponctuais pour marquer le coup d’envoi avec cette phrase  

« Je voudrais d’abord dire un mot sur le sentiment qui m’habite ».  Ah! Bon!   


Mais, en ce 13 août 2005, j’en suis à copier la page 173 de Vies minuscules de Pierre Michon (Gallimard 1984) : « Pas de jour plus insupportablement fort que celui-ci dans ma mémoire; j’y expérimentais que les mots peuvent s’évanouir et quelle flaque sanglante, bourdonnante de mouches et harcelée, ils laissent d’un corps dont ils se sont retirés : eux partis, restent l’idiotie et le hurlement. » 

Où sont les mots de sédiments floconneux pour parler de cet humble lac que j’ai devant les yeux parmi le réseau des lacs oligomésotrophes? 


Selon un article du Point en date du 13 août 2008, mais selon toute vraisemblance, cela doit s’être passé le jour précédant, soit le 12 août 1944 : les deux jeunes baveux sont saouls de bonne heure et caracole dans leur esprit de friture d’hippopotames bouillant l’idée de jouer aux clandestins en s’embarquant dans un bateau qui mouille au port de New York et qui est sur le point de partir pour la France.  L’idée, paraît-il, c’était de gagner Paris pour assister en chair et en os à la Libération! Rien de moins.  Oui mais, un marin aux yeux clairs repère les pingouins avant de lever l’ancre, les garoche dare-dare à la rue avec un pied au cul. 
 
 Eille ! J'vais tuer mon calice de vieux snoque !

 Puis, c’est fou, il faut jeter le corps dans l’Hudson, poings liés avec des roches dans les poches.  Ça reste nébuleux et c’est écoeurant. Quelques heures s’écoulent. Ça tremble de partout. Manquer d'air.  Penser à Dostoïevski. Revoir son ami Kerouac. La pression monte…
 Il en fera deux. Légitime défense, crime d’honneur face à un harceleur sur le point de violer un jeune homme… Ça c’est passé de même sur le devant de la scène.

Jack a fait une couple de jours de prison pour camouflage d’un crime.  Sa blonde a payé la caution contre la promesse de se marier!

 Ne pas rire dans sa barbe.



13 août 1998

Décès de Nino Ferrer.
Décès de Julien Green.


13 août 1926

Naissance de Fidel Castro. De passage à Montréal au début de l’année 1959, Castro déclare : « nous ne voulons pas de pain sans liberté ni de liberté sans pain »


13 juillet 1965

Mort de mon père Doloré. Le coeur.



Béthanie, 26 juillet 2009


Je reviens de France avec un petit crochet par le Vermont avec les Pedlers. J’ai entrevu après un mois d’absence mon jardin à la noirceur. M’a semblé bien ensauvagé. Fils abandonné. Le vent se lève. Le petit frigo n’est plus dans la botterie.Je suis en colère! L. m’a dit : «Vous écrivez de mieux en mieux. » Je ne crois pas être vaniteux.  Je ferme les yeux. Le vent est encore plus fort dehors. Toujours aimé cet orchestre du haut ciel de la nuit qui descend jouer jusque dans les branches des lilas bordant la maison. Est-ce que j’écris mieux? Je ne sais pas. J’écris sur le pouce.  Il faudrait que je fréquente beaucoup plus assidûment les livres en français.  On dirait que je ne suis plus d’ici.   Nous entrons dans la Vallée du Tarn en Arragon, vers Millare à 70 kilomètres, vers Sainte-Affrique.  Chemin faisant, les haltes ne manquent pas. Magnifique pays! On annonce des châteaux, Moulin-Neuf, Varbres l’Abbaye, la rivière Le Dordou, puis voilà Sainte-Affrique.  Je note avec une écriture qui tressaille tous les noms dans mon carnet. Oui, il faudrait que je relève ma paresse et vérifie les toponymes. Pour l’heure, je ne dis pas un mot à l’arrière de la voiture. J’ai tant rêvé avec les chansons de Vian en songeant aux routes graveleuses de France.  Ce voyage jusqu’en Avignon se déroulait le 7 juillet. J’aperçois des coteaux qui sont déjà en labours.  On doit les faire avant le 20 du mois, m’explique-t-on, sinon, c’est trop sec.  Nous sommes au Sud! Au pays du Roquefort.  Mais nous n’arrêtons pas! Allez, vers Cornius, route départementale 07… 


Montréal, 26 septembre 2007


Leur sang doit bien bouillir par le temps extraordinairement chaud qu'il fait en ce moment. Néanmoins, elles cacardent dans le ciel les outardes au beau nom de Bernaches du Canada. Elles s'appareillent comme de coutume. Je n'ai pas encore vu leurs volières fendre l'espace vers le sud. Ça fait quand même deux soirées qu'elles nous arrachent l'oreille. Il n'y a pas complainte d'échardes plus rugueuse et plus belle au monde que cet encouragement de la palmure au voyage en grand V irrégulier. Ça rit avec des grosses pelles en couleur dans le ciel de Montréal, ka-lunk, ka-lunk, ka-lunk…  Présage. Demain, l'hiver... Et puis l’oubli. Nenni, dit la Nani ! Pas demain l'hiver!
 « Je jetterai du pain dans le grand lac d’Oka, ou d'autres sortes de mies, pour qu'elles restent plus longtemps encore…
 pas demain l'hiver! » Jack a dit... Mais si, mais si, l’amie.  Demain l'hiver, disent les outardes au long cours et elles s'en foutent, elles s'en vont dans le Sud, au soleil, se baigner dans la mer... Et elles planteront leur long cou dans la soupe bleue. Elles nous laissent la paix. Elles nous donnent la paix. Elles se poussent en paix avec une chanson de Charlebois. Demain mon pays qui n'est pas un pays, mon pays qui n’est pas un pays, c’est une job et qui a bien Ducharme...


21 décembre 1987

Dans le dernier volume de la série Jean-Christophe de Romain Rolland, Emanuel est un petit bossu, un écrivain qui sait agiter une plume incisive.  Les pages de feu et de grand vent qu’il commet lui font mimer le charme du dompteur de lions qui, harnachant l’angoisse et le plaisir des foules, les remue, les soulève. 


Le cirque politique n’a pas que des clowneries à se mettre sous la dent : au centre du brasier, il invente aussi des fauves hyperboliques et des foules qu’on assassine vraiment. (Parfois, un artiste passe et signale qu’un ange invisible – comme l’ange des livres? – peut s’y balancer comme un poème dans l’opacité du désir.) Or, très singulièrement, il arrive que ce personnage de fiction, cet Emmanuel, ait été inspiré par un petit bossu véritable et dont le nom, magistral, a circulé comme une honte, comme une tache dans les salons libéraux de l’Occident des années 1930. Un peu comme quand on scande aujourd’hui le nom de Mandella, en ce temps-là, par-dessus les fouets d’une autre espèce de dompteurs macabres officialisés par la main de Dieu ou la force brute, on clamait : « Liberiamo Gramsci ! ».