24 juillet 2011

A Love Supreme Royal à Orford

Concert magistral de Yannick Rieu en quatuor samedi dernier au Centre des Arts d'Orford. Au programme, rien de moins que la suite de A Love Supreme!

Photo Jacques Desmarais


En croisant Jean-François Rivest, Directeur artistique du Centre d'arts d'Orford, il y  a ceci de particulier et de très vivace qui vous saute aux yeux : ce Chef a une tête en fleurs. Et c'est dans cette tête qu'a d'abord germé l'idée audacieuse de monter la suite de A Love Supreme. Il fallait par contre convaincre l'intense Yannick Rieu, le persuader que le défi de s'atteler à cette œuvre mythique de St.John-I-Am Coltrane ne pouvait pas être mieux relevé que par lui. 

Rieu a eu tout l'hiver et carte blanche pour attiser vers le haut ses complices, un quatuor exceptionnel formé de François Bourassa, Andrian Vedady, John Fraboni (époustouflant!) et bien sûr lui-même au sax, au lyrisme et au free.

Le Centre des arts d'Orford qui célèbre cette année son 60e anniversaire se respire d'abord par une douce entrée graduelle en pleine nature, à travers les branches des pruches et des érables bien feuillés et paisibles bordant le chemin du Parc. Le Centre niche en effet au cœur du parc national. 

Une fois repéré, on stationne l'auto dans les derniers retranchements, près d'un gros bouleau moustachu pour s'y repérer à la sortie; il y a beaucoup de monde. On entend à travers bois un stagiaire qui fait sonner un cor anglais. En gagnant la salle Gilles-Lefebvre (du nom du fondateur du Centre des arts), on aperçoit Rieu qui en grille une et rigole avec François Bourassa. Le concert commence dans un quart d'heure. L'ambiance est détendue. Les bénévoles vous accueillent avec cœur. Je reconnais bien là les airs de parenté de ma région natale.   

Les quatre complices ont eu la bonne idée d'offrir comme mise en bouche une courte première partie composée de trois standards qui s’enroulaient autour du thème de l'amour. Car se jeter au feu du suprême tout de go aurait sans doute été hardi. Anyway, You don't know what love is Til you’ve learned the meaning of the blues.

Rieu est un souffleur royal qui s'infiltre d'abord en soliloque, un peu en retrait du micro. Puis il décoche ses premiers « futs » et vous atteint sans autre avertissement. On peut dès ces premiers instants tremper ses oreilles dans le velours de l'acoustique extraordinaire de la salle aux panneaux de bois blond nouvellement rénovée, un bijou, dira le maestro lui-même à la fin du concert.

Puis les autres musiciens viennent nouer un à un leurs couleurs respectives. Il était d'emblée écrit dans le ciel que les quatre joueraient ensemble avec moult clins d’œil, joie, intensité, élégance et gratitude. 

C'est précisément, on ne fait que le répéter, la prière du fond de l'âme qui anima jadis la soif insatiable et allusive de John Coltrane. À la veille de. Partir. Chavirer. Porter la lumière. Le désir de feu. La pureté musicale. Peut-être là-bas... Avec ici-bas des traces de vent dans l'âme.

On ne peut pas faire abstraction de ce transport physique, de la recherche incessante allant du sax à la harpe, du piano à l'esprit d'altitude de l'imaginaire qui est aussi l'échappée d'une vive douleur, un vice de mal de dents, un manque absolu.

Rieu a demandé qui parmi le pulic connaissait déjà la suite en quatre mouvements de A Love Supreme. Plusieurs mains se sont levées. Il a ensuite rappelé que la version studio (décembre 1964) est sans doute la plus connue des auditeurs. Mais il existe une version live de Coltrane, une unique prestation donnée en juillet 1965 au Festival de jazz d'Antibes (France). C'est cette dernière version qui inspira le travail de Rieu.       

   « All you have to do is look at the cover to A Love Supreme.  It's beautiful and accessible in its intensity, and the sense of resolve and devotion is so visible on his face. »
— Josua Redman

 En lien avec la version live en France, cf. Ashley Kahn, A Love Supreme: The Story of John Coltrane's Signature Album,Viking,2002.


Pour ma part, c'est l'ami Sylvain, mon camarade à la radio communautaire dans le cadre de notre émission dominicale Train de nuit qui me fit connaître l’œuvre. Je me revois dans ma vieille Spirit avec la cassette... C'était, sans blague, un Vendredi saint. À l'orée du printemps donc. Les rayons du soleil étaient bouleversants. J'étrennais un beau makinaw en cuir. Je m'en allais sur Laurier rejoindre Sylvain. Rédemption, dites-vous?  

De L'Oiseau, Éric, un autre ex-brasseur de jazz à Radio Centre-Ville m'a déjà confié avoir reçu une lettre d'un auditeur qui témoignait avoir rebroussé chemin vers le suicide à l'écoute de A Love Supreme.

Sacré St.John-I-Am Coltrane!

La prestation de Rieu et compagnie à Orford qui ne fut pas enregistrée (c'est dommage) restera donc gravée dans le temps présent où nous nous trouvions ravis, atteints,comblés et heureux. On retiendra notamment la complicité magnifique de Bourassa avec John Fraboni. Ces deux-là se tenaient par la barbichette pendant que Vedady à la contrebasse tissait des petits bouts d'extase. Mais de mon siège (A4!), comme en fait foi la photo plus haut, je ne pouvais pas voir l'expression de la figure du batteur. Je ne voyais que le mouvement de ses mains, l'intensité modulée de ses bras. C'était comme un feu roulant hypnotisant. Quelle force et quelle finesse, en particulier lors du long solo de l'avant-dernier mouvement. Le toit aurait pu s'envoler! Assurément, Fraboni est l'un des meilleurs batteurs en ville!

Tout un concert!



Photo Jacques desmarais. Un quatuor exceptionnel : Adrian Vedady, contrebasse, 
François Bourassa, piano, Yannick Rieu, sax ténor, John Fraboni, batterie.


13 juillet 2011

Carnet d'Amérique en Estrie

Carnet d'Amérique de Radio-can diffusait ce soir sa première incursion dans les Cantons-de-l'Est, mon pays.  On y visitait quelques auteurs. J'ai entendu la fin de l'émission : un peu David Goudreault qui s'est dit amouraché de l'Estrie à cause de la solidarité des artistes, un peu Clémence DesRochers, lumineuse et humble, si franchement humaine comme toujours. Je me reprendrai demain en réécoutant l'émission sur le Ouèbe.

ll n'y a pas plus américain, pensai-je en moi-même, au sens continental du terme, que les mots, la pensée et l'esprit sauvage du grand Alfred DesRochers.

Il y a chez lui un pas du dedans qui n'est pas sorti du bois, un bruissement de feuilles, d'oiseaux, de chenilles avant les planchers cirés des couvents de la question du pays.  Et c'est un tam-tam des plus curieux.  C'est que l'Orford que je reverrai dans deux semaines pour A Love Supreme de Yannick Rieu résonne bien au-delà des labours circonstanciels. Cela donne « le mal du pays neuf... » (À l'ombre d'Orford).

Photo Jacques Desmarais, Béthanie,14 juillet 2011.
"Pour se proclamer sauvage dans un poème en 1935 au Québec, se donner, du même souffle, l'Amérique comme seule patrie et traiter les nationalistes canadiens-français, tournés vers la France de Maurras et de Barrès, de «tas d'immigrés», il fallait être le Survenant, avoir écrit À l'ombre de l'Orford et s'appeler Alfred DesRochers."
- Michel Lapierre, Le Devoir, 7 mai 2005.


Alfred DesRochers, poète, Claude Fournier, ONF, 1960.

09 juillet 2011

Circa ou pourquoi ne pas marcher sur la tête en talons aiguilles

Tapis rouge et cheval blanc aux portes de la Tohu, jeudi soir dernier, pour le coup d'envoi de Montréal complètement cirque.

Les officiels : Raymond Bachand, ministre des finances, Stéphane Lavoie, Directeur général de la Tohu,
Mme Fotopoulos, membre du Comité exécutif de la Ville de Montréal.

Avec ses ongles abradacabrant, c'est la troupe australienne Circa qui a ouvert le bal de la seconde édition sur la magnifique scène circulaire de la rue Jarry avec son Wunderkammer (Cabinet de curiosités).

La scène circulaire de la Tohu, un gros silo vu de l'extérieur.
Comme on peut le lire dans le Voir de cette semaine sous la plume de Fabienne Cabado qui mène un très bon interview avec Darcy Grant : « Main à main, équilibre, trapèze, corde, hula hoop, lancer de la fille et contorsion comptent parmi les acrobaties au programme de ce spectacle abstrait dans lequel chacun peut s'amuser à tisser sa propre trame narrative. ».

Mais somme toute, intrigués que nous sommes d'entrée de jeu par une espèce de sniffage de balloune élastique qui insinue dès le départ une bizarrerie un tantinet insolente, les « personnages » en noir et blanc peau, talons aiguilles, maillots et plastron d'un cabaret ludique, onirique, électrique, carré, punk, sans allure, bref ces extravertis utilisent somme toute assez peu les accessoires classiques du cirque.  C'est en effet davantage entre eux que les flammèches revolent dans le mouvement incessant des corps agiles ou mous comme de la quenille, c'est selon et très changeant, corps qui se frottent, se poussent, plongent ou grimpent, qui brake-dance, qui n'en finissent pas de s'extirper d'eux-mêmes, de se mettre à nu jusqu'à la lisière incertaine de l'intériorité.

Sous des éclairages magnifiques et une trame sonore recherchée, Circa nous entraîne dans un entortillage inextricable de situations hautement trafiquées par la prouesse. Mais la mouche réussit toujours à sortir de la bouteille où elle s'était fourrée. Ou bien, le verre imaginaire se brise de lui-même dans un éclat de rire.  Il y a du Wittgenstein en coulisse de cet ensemble scénique inusité et vraiment très beau.
     
J'avais vu ravi, ébloui, la production précédente, de facture plus poétique, de ces drôles de moineaux lors de leur passage à Montréal en avril 2009 (cf. Train de nuit) .

Cette fois-ci, j'ai été particulièrement touché par la scène finale jouée sur la version de Don't think twice, it's all right (Dylan) de Suzanna and the Magical Orchestra où l'on nous dit adieu avec raffinement et une touche de tristesse clownesque. 



L'ami Marc-André Delorme, responsable du financement public  de la Tohu,
 avec collègues et amis.

Scott (?) de Circa.  Il a slamé en déclinant tous les pays du monde en trois minutes!



Photos Jacques Desmarais.